En ouvrant FB ce matin là, je ne m’attendais pas à voir ressurgir du passé un flot de souvenirs associés à une ambiance, un lieu et surtout à l’attitude de certaines personnes, aux premiers rangs desquelles se trouvaient Yan Cabral et Kiki Mélo.
Pour ceux qui l’ignorent, ou qui ne lisent pas les grands magazines au tirage holywoodien comme Jits France qui a déjà consacré un article solide à Kiki Melo, ce monsieur au nom atypique est un champion de jiu jitsu. Je sais vous allez me dire : » Oui des champions il y en a cinquante à chaque tournoi, ne nous la fais pas à l’envers » .
Erreur.
Kiki est un champion (ça fait deux fois que je le dis). Je ne dis pas ça pour lui être agréable, ni même pour lui retourner un service qu’il m’aurait rendu (même si nos rapports sont excellents, je n’ai jamais reçu de lui que des raclées).
Et s’il y avait beaucoup à dire sur son statut de champion (le nombre de titres mondiaux qu’il a gagné au Brésil quand votre nounou vous pinçait les fesses, les volées qu’il a mises à nombre de champions d’alors, l’éclipse médiatique des champions de la Nova Uniao au début des années 2000 lors du schisme de cette école alors en désaccord avec l’antique IBJJF qui refusait de rémunérer les athlètes…), c’est pourtant sa façon d’exprimer des sentiments nobles qui m’a toujours le plus impressionné, une qualité partagée parmi tous ces champions qu’il m’a été donné de côtoyer dans ce lieu et ce moment particulier.
Retraçons le cadre : 2005, Botafogo, à l’angle senador Vergueiro et praia de Botafogo, un immeuble délabré, un escalier de bois desservi par une porte étroite mène au premier étage. Un type mal rasé et ventripotent accoudé à un pupitre devant un tourniquet cassé : c’est le bureau des registres. Derrière lui une centaine de mètres carrés recouverts d’un mauvais tapis de lutte sous lequel un rembourrage aléatoire alterne avec des poutres oubliées d’un chantier précédent, à moins que ce soit celles qui constituent le plafond du voisin du bas, je n’ai jamais su. Donnant sur le carrefour au trafic intense, une chiée de fenêtres ouvertes qui permettent aux gaz d’échappement de renouveler le mélange pauvre en oxygène de la salle surpeuplée. Une pièce d’eau d’où suintait un filet noirâtre de ce que j’hésiterai à nommer un pommeau de douche, entre trois sacs de plâtre et un water qui n’a jamais vu le dos d’une éponge. En contre-point, séparé par un filet inutile peut-être destiné à sécuriser en cas d’écroulement impromptu du quartier, quelques trophées et photos de tournois nippons de la belle époque du professeur : je veux parler de Dédé Péderneiras.
Co-fondateur de la Nova Uniao et homme d’affaires, il dirige l’académie et gère la carrière des athlètes avec le succès qu’on lui connaîtra. Accessoirement il sert de père aux athlètes qui débarquent des lointaines contrées du Brésil, en leur fournissant un lieu pour dormir (en l’occurrence le grenier de cette salle) et la possibilité de s’entrainer et de combattre pour gagner de quoi s’acheter à manger.
C’est là que j’ai connu Kiki Mélo, Yan Cabral et bien d’autres champions ou partenaires d’entrainement qui illustrent désormais les hauts des affiches. Et bien qu’aujourd’hui au sommet de leur gloire médiatique, le post de Kiki sur Facebook me rappelle à quel point le plus fascinant chez ces personnes n’est pas tant leurs qualités de combattants ou encore leur gestion d’un quotidien marqué de l’omnipotence du système D brésilien, mais bien leur humanité tournée vers l’autre, l’entraide permanente et inconditionnelle qui cimente d’une manière unique les relations entre ce qu’il nous est forcé de nommer deux inconnus. Je ne résiste pas à l’envie de vous traduite le texte que Kiki a posté sur son mur :
« Superbe photo tirée après ma victoire lors du championnat d’Europe en janvier dernier, et un film défile dans ma tête à cause de tout ce qu’il m’a été donné de vivre à côté de ces deux frères, Yan Cabral et Diego Dias.
Yan, mon frère, je te serai toujours reconnaissant pour ce que tu as fait pour moi. Je me souviens d’une période très difficile, je vivais à Rio de Janeiro et mon foyer était une salle de sport, une vie réduite au minimum. J’ai rencontré Yan au travers d’amis et lors de championnats. Nous sommes devenus amis et bien qu’il n’était pas encore de la Nova Uniao, il a toujours été bon avec moi.
Un soir après l’entrainement, alors que je nettoyais les tapis, Yan vient me voir. Il veut me parler. Je me rappelle encore son débardeur Surfight… Il me dit qu’il avait un sponsoring de 10 reais par jour dans un snack qui s’appelait SucoMania, un des meilleurs de Flamengo, et il venait m’offrir la moitié de ce sponsoring, soit 5 reais chacun, ce qui correspondait alors à un casse-croute et une boisson. C’était inespéré, et le jour suivant nous sommes allés voir le patron qui acceptait le deal. Avec le temps le patron augmenta ma part à 10 reais, ainsi que celle de Yan, et nous ajoutâmes encore Junior, José Aldo, sur cette affaire.
Sans oublier que Yan m’a également hébergé, voir au moment le plus difficile arriver quelqu’un pour partager le peu qu’il possède avec vous, c’est une chose pour laquelle je lui serai toujours reconnaissant.
Sur la photo cette tronche de cake de Yan, un frère que la vie m’a donné, et au fond mon frère de sang, je vous aime, merci d’être toujours avec moi.
Que jamais le respect ou la gratitude ne me manquent »
Je n’ai pas grand chose à rajouter à ces paroles, je voulais juste que ceux qui ne lisent pas le brésilien puissent juger ces hommes sur autre chose que des victoires ou des défaites.
Mais quel magnifique récit